Hard times will always reveal
true friends

Le cocktail était déjà commandé, la serveuse vint soudainement le déposer sur la table qu'occupait le jeune homme avec une banquette vide face à ses yeux. Ezeckiel se perdait dans de la paperasse, des futilités puisqu'il s'agissait de ses cours d'université. Le gamin se replongeait parfois dans ces notes, ces idées de psychologie pour comprendre la nature animale, la bestialité et la fureur des hommes qui finissaient par crever sous les erreurs et les mœurs. Ezeckiel en venait à réaliser que ses années à étudier des banalités ne l'avaient pas aidé et que ce diplôme resterait éternellement celui du môme qui croyait que l'esprit humain était saint et pas totalement aliéné par la société. Le plongeur lisait ces lignes, de façon transversale, avec vivacité comme pour noyer les émotions qu'il éprouvait de force. La théorie de ces bouts de papier n'avait rien à voir avec la souffrance de l'esprit. Ezeckiel regrettait cette époque, ou il se contentait de lire, rédiger, copier bêtement tel un enfant. Imprimer une idée pour ensuite l'appliquer à un cas puis à répéter l'acte de façon robotique sans réellement se soucier du reste. C'était beau parfois de se bercer dans une illusion, douce et complètement hors de la raison. Ezeckiel ne pouvait plus se contenter de schématiser le malheur des autres : il devait compatir et souffrir tel un martyr, un compagnon d'infortune dont ils n'avaient pas conscience. Le monde devenait fou, il s'engouffrait dans une colère que le gamin parvenait à qualifier de veine tellement les dilemmes moraux de quelques individus semblaient idiots. Le pire dans cette situation, c'était probablement d'en venir à se demander s'il était capable d'éprouver des sentiments sincères à l'encontre de quelqu'un. Difficile de juger, impossible d'émettre une hypothèse, il fallait simplement endurer. La compassion était désormais une obligation, triste condamnation pour celui qui avait consacré avec innocence son enfance aux autres.

Détournant le regard vers la serveuse pour se contenter de la remercier en retirant le crayon avec lequel il jouait entre ses lèvres. Déplaçant finalement son regard sur les clients du bar. Un bar du quartier riche, mais c'était probablement le seul endroit où les émotions n'étaient pas totalement néfastes pour le gamin. Déplaçant ses yeux sur une femme au bar qui riait à en perdre haleine avec quelques hommes qui semblaient ramper à ces pieds. Elle ne semblait pas porter d'alliance, cela pouvait suggérer une femme volage de nature ou une femme en manque d'affection semblable à une femme bafouée des années 20. Un désir d'affection se dégageait d'elle, un manque cruel d'amour que le jeune homme ressentait alors qu'il jouait avec un crayon en tentant de se concentrer sur les émotions de cette seule femme : impossible. Lorsqu'une émotion commençait à prendre le dessus, les autres semblaient venir à nouveau l'étouffer sous des contraintes toutes plus fortes les unes que les autres. Une émotion était comme une maladie, se glissant dans les veines du gosse pour le posséder et le dévorer à mesure que l'horloge tournait. Ezeckiel vint finalement à réaliser qu'il dévisageait presque cette femme pour une simple émotion, et il détourna finalement le regard pour glisser ses yeux partout dans le bar. Il en venait à sentir sa vision se perdre dans le narcissisme des gens et l'hypocrisie d'autrui. Le gamin serra un poing en venant finalement à détourner le regard vers la porte d'entrée. Le souffle court et le regard perdu, tout cela sembla s'envoler lorsqu'il reconnut le visage de celui qui venait de passer la porte de ce bar qui n'avait rien de commun avec ceux des quartiers défavorisés de la ville. La voix suffisamment forte pour se faire attendre, le gamin se détourna à 90 degrés pour laisser clairement percevoir son visage et son t-shirt blanc. « Maël ! » En accentuant les mots d'un léger geste de la tête tandis qu'il éprouvait déjà la curiosité de ceux qui s'étaient détournés dans la salle à l'écoute du prénom. Tout le monde aimait s'occuper des maux des autres, mais personne n'était suffisamment intelligent pour l'expliciter avec des mots.

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Imaginer ce que la vie serait, si les choix étaient temporaires, que chaque chose pouvait bercer une âme quelque temps pour ensuite offrir la possibilité d'en changer comme n'importe quel t-shirt dans une armoire. Imaginer que refaire le monde pourrait se refaire avec un « si », c'était ridicule et Ezeckiel se perdait pourtant parfois au jeu en imaginait ce que serait sa vie s'il n'avait pas accepté ce pari stupide par désir de compétition avec sa sœur. Ezeckiel imaginait sa vie avec tous les clichés qui se trouvaient dans ses feuilles de papier. Les statistiques britanniques étaient passionnantes, mais ce n'était rien en comparaison avec les statistiques des États-Unis et particulièrement des États conservateurs comme ceux du sud. Le gosse, avait plus d'une chance sur deux de finir avec une femme dans sa filière, que cette dernière soit professionnelle ou durant des années d'études et il avait probablement d'autant plus de chance de rencontrer l'amour de sa vie avant ses 17 ans. C'était des statistiques, des idées que la vie était déjà toute tracée et qu'il fallait renoncer à ce dernier pour se fondre dans la masse mortuaire des gens qui n'affectionnaient qu'une glace et un physique parfait. Le gosse fut toujours un garçon ouvert, mais depuis sa mutation : il en venait à mépriser le genre humain. Les égoïstes, ceux qui se pensaient supérieurs ou tout simplement ceux qui étaient idiots et qui ressentaient une émotion toutes les deux secondes comme un bébé qui quémanderait sa mère. Ezeckiel ne fut jamais de ceux qui rêvaient de rentrer dans les normes, d'être le bon garçon, il voulait tout simplement vivre à sa façon pour ses valeurs : triste erreur, il était condamné à supporter les malheurs de ces gens. Le gamin supportait davantage les douleurs de ceux qui manquaient et qui éprouvaient des sentiments sincères, mais cela était insupportable pour lui d'écouter autant de plainte. Son corps ne pouvait pas supporter la rage qui dévorait les autres, pas autant. C'était pour cela qu'il préférait les bars bourgeois, seuls la superficialité pouvait atteindre le gamin, de la douleur minime qu'il était apte à gérer malgré la difficulté qui se faisait sentir dans sa petite tête gosse. Ezeckiel voyait tout cela comme une simple connerie, certes il éprouvait les émotions de ces désespérés : mais il accumulait aussi du mépris et de la colère et prendrait un malin plaisir à observer ces gens éphémères sur terre.

Les émotions changèrent lorsqu'il remarqua Maël. Ni un ami, ni un inconnu. Il était probablement la personne la plus étrangement neutre de ses relations et cela au travers d'une compréhension qui se redoublait d'une incompréhension et d'un manque de confidence. Maël était agréable, il n'éprouvait pas sans cesse de la colère ou même de la joie comme n'importe quel niait. Ezeckiel parvenait à faire abstraction des émotions du jeune, il se moquait du pourquoi, mais cela suffisait à faire que le gamin apprécie le jeune homme sans pour autant lui vouer un culte. Le gosse se contenta d'un petit sourire en coin en voyant Maël venir s'installer à sa table et il déposa un regard sur les papiers qui se trouvaient sur sa table et il commença à ramasser ces dernières, regroupant le tout en un seul tas et glisser ces dernières dans son sac pour ensuite déplacer un regard vers son verre : alcool. Le gamin avait énormément souffert d'une consommation massive de cet arôme, mais y renoncer totalement était ardu. Le gosse devait se contenter de quelques verres et devait d'ailleurs référer ses verres dans un carnet selon son ancien médecin : Ezeckiel s'en moquait. Il souffrait perpétuellement sauf quand il buvait et baisait, alors il trouvait cela plutôt justifié de faire taire une fois de temps à autre les voix dans sa tête... cela ne suffisait pas toujours et alors, il se contentait de se renfermer sur son propre corps, seul dans le froid de son appartement.  « Oh rien de particulier, je relisais des vieux cours, ça me rappelait à quel point c'était chiant. » Haussant les sourcils en détournant le regard vers l’horloge qui se trouvait dans la pièce : le couvre-feu. Le gosse en avait totalement oublié que ce truc existait et que le temps passait trop vite à son goût. Ce couvre-feu était une saloperie pour enfermer des gens dans une idée : la crainte. Ezeckiel ne voulait pas prendre part à ce conflit qui semblait se créer entre les humains et les mutants. Une guerre ? Sincèrement ? Pitié le monde était misère, inutile de le rendre à nouveau poussière. « Et j'avais envie de boire un cocktail digne de ce nom. » Le gosse apporta le verre à ses lèvres en buvant simplement une gorgée pour ensuite reposer ce dernier entre ses mains. « J'ai pas vu le temps passer pour rien te cacher, j'étais passionné par l'ennui ! Et toi ? Pourquoi tu débarques maintenant dans un bar ? Nous sommes tous condamnés à retourner nous enfermer chez nous tôt. » Ezeckiel n'avait aucun respect pour cette règle, et il ne s'en cachait pas en écoutant les talons de la serveuse claquer en direction de la table.

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Anxiété. Celle qui habitait ces individus, l'idée de se faire réprimander pour une simple sortie nocturne. La possibilité de se faire réprimander tout cela pour punir la population d'une attaque terroriste. Qui avait posé cette bombe ? Personne ne le savait et probablement que l'état ne communiquerait pas l'identité du terroriste de sitôt. Le gamin ressentait ce qu'ils enduraient, ce sentiment qu'il ne parvenait pas à comprendre, ce sentiment pour lequel il n'adhérait pas mais qu'il se retrouvait contraint d'éprouver. La tête d'Ezeckiel était comme un combat de David contre Goliath : seul contre toutes les émotions plus fortes les unes que les autres. C'était une bien triste vision des choses et ce n'était pas très inspiré de se comparer à un mythe avec un gosse qui se contentera de jeter un caillou pour vaincre son adversaire... comme si une émotion pouvait se taire avec un caillou. Le gosse devait supporter la crainte, la crainte de l'inconnue de chaque personne qui peuplait ses déplacements. Les interrogations farouches sur le sens de ce vaccin, de cette vie ou tout simplement de la mort possible. Ezeckiel ne parvenait même plus à se faire un avis sur ce que représentait ce vaccin en dehors qu'il causait plus de peine que de bien. Il parvenait à oublier que les mutants finiraient par désirer les humains par simple besoin de pouvoir et que les humains lutteraient pour survivre et cela même si la guerre civile devait se prononcer. Le plongeur ne s'inquiétait pas encore de tout ça, il ne se préoccupait que de son esprit qui partait à la dérive sur trop de rives en même temps.

Le gamin n'allait pas dire à Maël d'abandonner ses études : loin de là. Ezeckiel accordait du crédit à l'éducation même si cette dernière pouvait parfois s'apparenter à du bourrage de crâne. Le gamin avait achevé son diplôme, par envie et parce qu'il avait pensé que se plonger dans ses études aurait suffi à repartir à zéro avec une nouvelle vie et un emploi, mais cela fut impossible. Il n'avait jamais eu la volonté de devenir un dieu sur terre, d'exploiter la population avec son argent ou sa mutation : Ezeckiel avait toujours désiré le mieux pour les autres et particulièrement pour ses amies et sa sœur. Chaque choix de vie pouvait être bon à partir du moment où ce dernier rendait heureux et qu'il permettait un épanouissement. Les études n'étaient pas une partie de plaisir, et il fallait s'accoutumer à l'idée que cela n'offrirait pas toujours une vie de rêve. La course à la culture allait lentement mourir pour la course à la mutation. En parler ne servait à rien, le gamin laissait faire en silence, et probablement qu'il finirait par s'en mordre les doigts, mais il s'en moquait. « La fin viendra vite, et tu verras tu te sentiras vieux. » Ezeckiel laissait paraître de l'ironie dans son ton. Il ne se trouvait pas vieux, et il avait même plutôt tendance à penser qu'il était dans l'âge d'or de sa vie. Le gosse se contenta d’acquiescer d'une tête légèrement difforme face à la remarque sur l'alcool. Ezeckiel ne touchait plus à aucune drogue, et sa consommation de médicaments était contrôlée – soi-disant - de manière sérieuse par son médecin généraliste et seule sa consommation d'alcool échappait au contrôle du gosse. Ne pas boire du tout semblait impossible, tout comme faire taire ses maux de tête avec des médicaments semblait nécessaire. La drogue était vite tombée dans l'oubli, parce que le plongeur ne savait que trop bien combien cela entraînait de la souffrance.

L'ennui avait tout d'une passion, certains adoraient s'y perdre. Ezeckiel avait tendance à mépriser l'ennui, cette chose qui se basait sur du rien. Comme si de ne rien faire était un plaisir: Absolument pas. Maël était là pour se vider la tête et pour boire, c'était exactement ce dont Ezeckiel avait besoin pour lui tenir compagnie. Ne tenant pas rigueur au regard profiteur de Maël sur la serveuse, après tout, elle n'était pas moche à regarder donc il n'allait pas jouer les moralisateurs. Le mutant serait fort mal placé pour critiquer puisqu'il était un adepte d'une nuit, mais pas pour la vie. Puis vint le sujet malheureux du couvre-feu lancé par petite remarque du gosse. Maël avait une vision plutôt sympathique de cette règle et cela en devenait même presque poétique. Ezeckiel était de ceux qui se moquaient de l'heure, qui rentrait chez lui généralement plus par nécessité dû à sa position d'empathe que par envie – ou alors avec une agréable compagnie dans un endroit totalement farfelu. Bien évidemment la question se retourna contre le mutant qui balaya son regard dans la pièce pour observer ces gens, tous anxieux, énervés ou légèrement éméchés pour quelques idiots qui avait l'alcool triste et qu'Ezeckiel pouvait sentir au fond de ses prunelles. « Partir ? Oui probablement que ce bar va finir par nous jeter dehors pour éviter les représailles. Après non, je ne compte pas rentrez-m'enfermer chez moi pour regarder la télévision comme cette population de moutons. » Ezeckiel était majeur, ces 21 ans étaient loin et il ne devait de compte à personne d'autre que lui-même. Il aimait néanmoins se demander d'où provenait la peur de ces gens : des mutants ou de l'État qui tentait de confiner la population. Ce n'était pas la même peur, et Zeke ne parvenait toujours pas à ressentir les choses de manière différente. « Ils ont tous peur d'une chose qu'ils ne comprennent même pas eux-mêmes. Je suis donc de ceux qui n'ont malencontreusement jamais de montre sur eux. » Ezeckiel n'avait aucun respect pour cette règle, et il ne s'en cachait pas en écoutant les talons de la serveuse claquer en direction de la table. Ezeckiel porta son verre à ses lèvres en soupirant pour ensuite le reposer sur la table en secouant négativement la tête. « Puis pour une fois qu'on se voit. » Laissant échapper un rire. Ce n'était qu'une excuse bidon, mais avec un bon fond.