La nuit : voilà une période de la journée qu’Ethan appréciait particulièrement, douce partenaire avec qui il avait flirté pendant de nombreuses années, l’appréhendant d’abord avant de finalement l’adopter, la chérir et l’apprécier. Depuis sa plus tendre jeunesse, il ne comptait plus les heures qu’il avait passé dehors au clair de lune ou perdu dans l’obscurité, lorsque le soleil n’était plus le maître des cieux et que les ténèbres dominaient la ville, la transformant pour lui donner un aspect plus sombre, révélant ainsi tous ses travers et tous ses vices. Plus que de lui offrir quelques bons moments, la nuit lui avait montré le vrai visage de Manchester et ses environs, celui que les politiques cachaient au public, celui que les honnêtes citoyens essayaient d’ignorer, celui que les pauvres civils craignaient. Elle lui avait ouvert les yeux sur ce monde où la morale et la sécurité laissaient place aux deals louches, aux rencontres interdites et à l’assouvissement des péchés. Un environnement parfait pour un gars ayant toujours marché sur la frontière entre la légalité et illégalité, un environnement également parfait pour un flic à la recherche d’informations sur la dernière drogue en circulation : ça tombait bien, le jeune homme représentait aussi bien le premier cas que le second ! Jeune, il avait vite appris que traîner dans les rues le soir permettait de fréquenter les bonnes personnes, celles qui pèsent dans le monde du crime et du trafic illicite. Vivre la nuit, c’était le meilleur moyen de se faire des amis puissants et dangereux, ceux qui vous aident à vous en sortir, ceux qui vous donnent accès à des ressources insoupçonnables et souvent contraires à la loi : c’était eux qu’il fallait atteindre lorsqu’on ne voulait plus jouer selon les règles et la nuit était le seul moment où il était possible de les rencontrer… Aussi, lorsqu’il avait accepté de travailler sous couverture dans les quartiers Sud de Dunbrill, Ethan avait d’instinct su qu’il ne serait jamais autant efficace que s’il vivait une fois que le soleil se serait couché…

Il avait d’abord commencé à traînant dans un bar mal famé, en cherchant à faire savoir que son salaire de mécanicien n’était pas suffisant et qu’il souhaitait mettre un peu de beurre dans ses épinards si quelqu’un pouvait lui donner un job… particulier. Attirer le regard et la curiosité, demander à des inconnus s’ils ne connaissaient pas quelqu’un qui chercherait à l’employer pour des travaux illégaux. Quelques bagarres et altercations, histoire de donner l’impression d’être un dur, d’attirer l’attention et le voilà propulsé comme membre d’un petit groupe de racailles. Le bas de l’échelle de la société criminelle, de ceux qui volent des sacs à main ou cassent des voitures : un bon début pour espérer quelque chose de plus grand. Un jour, il se ferait repérer par un vrai criminel, de ceux qui connaissent du monde, notamment plusieurs dealers de Sérum. A partir de ce moment-là, il pourrait enfin faire son boulot ! Mais en attendant, il n’avait qu’à aller au bar rejoindre ses ‘’potes’’ après le travail, traîner un peu avec eux et rentrer chez lui, gagner leur confiance au fur et à mesure…

C’était ce qui l’emmenait aujourd’hui dans cette rue, à ce moment précis : alors qu’il se rendait au bar pour y retrouver son ‘’gang’’, vêtu de son sweat à capuche et son jean troué, Ethan avait décidé d’emprunter un raccourci, coupant à travers les résidences et déviant de la rue principale pour des rues plus petites et moins animées. La tête basse, les mains dans les poches, il se pressait de se rendre au point de rendez-vous pour éviter de passer pour le retardataire du groupe. D’ordinaire, il ne se serait jamais arrêté pour une bagarre, n’aurait peut-être même jamais levé le regard vers deux crétins se mettant sur la gueule dans une ruelle mal éclairée. Il avait beau être flic et devoir veiller sur le bien-être des citoyens, son statut d’agent sous couverture lui demandait parfois d’agir en dépit de la morale commune, ce qu’il faisait étrangement aisément. Pourtant cette fois, il avait jeté un coup d’œil à l’altercation musclée entre les deux hommes seuls dans le coin et put distinguer un visage familier : rué de coups par un homme furieux son ancien professeur d’histoire, monsieur McAvery, semblait passer un bon moment. Pris d’un élan de courage, Ethan se dirigea vers l’agresseur, trop occuper à enchaîner les coups de poing pour faire attention à lui :

« Eh toi ! »

Attirer son regard, voilà tout ce qu’il souhaitait. L’homme l’avait entendu, tournant sa tête vers le nouvel arrivant : trop tard bien entendu. Rapide, Ethan vint asséner un puissant crochet à l’inconnu qui le fit reculer d’un pas, le déstabilisa suffisamment pour que le jeune homme en profite, enchaînant avec un coup de genou au niveau de l’estomac. La technique n’était pas digne d’un policier en fonction, mais ça tombait bien : le flic n’était pas soumis aux mêmes règles que les autres. Une clé de bras et un placage contre le mur, comme s’il le maintenait en état d’arrestation et le tour était joué :

« Tu ferais mieux de te tirer avant que je ramène des potes à moi et que l’on décide de te briser les deux jambes, compris ? Maintenant dégage ! »

Pas besoin de le répéter, l’homme acquiesça d’un faible mouvement de la tête avant de détaler comme un lapin, les deux autres protagonistes seuls. Après l’avoir vu disparaître au coin de la rue, Ethan se dirigea vers son professeur, essayant de l’aider à se tenir droit en lui tenant la main :

« Ca va aller professeur ? On dirait qu’il ne vous a pas loupé ! »

En voyant le visage de son ancien enseignant, le jeune homme sourit : il était parfois bon de voir un visage familier quand on faisait un travail comme le sien, même si ledit visage avait été roué de coups quelques minutes auparavant…

S'il y avait bien une personne qu'Ethan ne pensait pas trouver dans un endroit aussi miteux que les quartiers sud de Dunbrill, surtout en pleine nuit, c'était bien son ancien professeur d’histoire. Plus encore, il ne s’attendait pas à le voir le visage légèrement gonflé par les coups qu’il avait reçu, tabassé par un inconnu au détour d’une ruelle sombre. Mais comme il en prenait un peu plus conscience chaque jour, le monde devenait fou et il fallait s’attendre à tout : après tout, les gens développaient aujourd’hui des pouvoirs après s’être injecté un sérum étrange, alors pourquoi est-ce qu’un enseignant qu’il avait eu 8 ans plus tôt ne pouvait pas se bagarrer une fois la nuit tombée ? Quoi qu’il en soit, le flic était arrivé à point nommé et il fut d’autant plus heureux de cette malencontreuse rencontre lorsque l’homme le reconnut. Lorsque le trentenaire se releva, il se fendit d’une petite remarque qui fit rire Ethan : le professeur McAvery faisait partie des rares personnes du corps enseignant qu’il avait apprécié dans sa vie, notamment car il n’avait jamais été de ceux qui l’avaient jugé trop sévèrement, avec le dédain si caractéristique de ceux qui voyaient les mauvais élèves comme des déchets.

« Peut-être qu’il était habitué à passer ses nerfs sur d’autres punching-ball vivant ! J’apprécierais tout de même qu’il évite d’endommager un de mes professeurs préférés ! »

La violence était monnaie courante dans le quartier et ceux qui en usait n’étaient jamais des gens très fréquentables. Le sud de Dunbrill, c’était le quartier pauvre où il ne valait mieux pas trainer la nuit si on était incapable de se battre ou de fuir plus vite que son agresseur. Beaucoup de gens ici vivaient dans une situation précaire et le soir, les bars étaient remplis d’alcooliques notoires ou de voyous. Quelques rares coins servaient de lieu de rendez-vous pour les étudiants mais à part ça, on ne pouvait pas dire qu’il faisait bon se balader seul dans le coin… Du coin de l’œil et les mains dans les poches, Ethan regarda son aîné se diriger vers un vieux carton, dévoilant alors spectacle assez tragique : au sol, deux pauvres animaux semblaient avoir connu la fureur de l’inconnu qu’il avait chassé. C’était assez triste de voir jusqu’où l’Homme était prêt à aller dans l’abomination et s’il n’avait pas lui-même été témoin d’horreurs de ce genre pendant les nombreuses années qu’il avait passé sous couverture, il aurait sans doute eu le cœur fendu en voyant ces pauvres bêtes. Seulement voilà, la vie l’avait endurci et malheureusement, une part de sa candeur avait disparu, ne laissant derrière elle que l’indifférence face à la cruauté d’un monde de plus en plus affreux. Alors que Keith le remerciait, le jeune homme se rapprocha avec un sourire en coin :

« Il n’y a pas de quoi, ce crétin méritait même plus qu’un simple coup de poing. Et puis, on dirait que je suis intervenu pour une bonne cause ! »

Laissant l’homme s’occuper des bêtes, il regarda autour de lui par instinct, cherchant du regard une éventuelle menace qui pourrait se profiler à l’horizon :

« Dites, ça vous arrive souvent de voler au secours des animaux maltraités ? Je veux dire, ce genre de coin n’est pas celui où on aime prendre un bon bol d’air le soir et vous n’êtes pas du genre à traîner dans la rue à la recherche d’un dealer ! Qu’est-ce qui vous emmène ici, à part ces petites bêtes ? »

Parce qu’après tout, il était en droit de se poser la question : personne ne se baladait la nuit dans ce genre d’endroit sans une raison bien précise, à moins d’être complètement inconscient…