Il était l'heure pour moi de me réapprovisionner. Mes réserves en médicaments s'étaient amenuisées et il ne suffirait que de quelques jours pour que je me retrouve à sec. Ce n'était pas une option que je pouvais envisager. Certainement pas. Sans mes médocs, je ne tiendrai pas. Je le savais bien.
Je n'aimais pas spécialement sortir de chez moi. Mon appartement miteux était mon refuge à moi. Un casque sur les oreilles, de la musique plein la tête et j'oubliais tous les bruits de fonds, tous les cris, les grincements, la télévision de mon voisin, tout. J'étais seul. Seul avec mes pensées. Seul avec mon ordinateur. Seul avec mon blog.
"La Mort en Seringue" gagnait chaque jour en lecteurs et lectrices. Des gens qui, comme moi, avaient perdu des êtres chers, d'autres qui hésitaient à se lancer dans le grand saut... J'espérais que mes articles leur remettraient les idées en place. C'était tout ce que je pouvais faire, tout ce qui me motivait à continuer à vivre jour après jour...
Ca et les médicaments. Ceux qui m'embrumaient les sens, qui éloignaient la colère, le chagrin, l'injustice, l'angoisse... Ils ne laissaient que le néant. Un néant engloutissant tout ce qui se trouvait sur son passage. Un vide à la fois rassurant et terrifiant... Mais préférable aux torrents d'émotions qui me parcouraient régulièrement, incontrôlables, violents, brutaux.
Il était tard. La nuit était Leur domaine, celui des dealers et autres revendeurs. Il n'y en avait qu'un qui avait tout mon intérêt : Steve. Il était l'un des rares qui ne cherchaient pas à refiler le sérum, malgré les bénéfices.
Sa copine en était morte, m'avait-il dit sans détour quand je l'avais questionné là-dessus. Pour moi, il était le meilleur. Je ne me sentais pas hypocrite en achetant auprès de lui ma came. Je ne trahissais pas ma cause, le message que je tentais désespérément de porter.
J'avais enfilé mon attirail habituel : sweat à capuche sombre, jean noir, baskets, sac à dos. Ce n'était pas très différent de ce que je portais en plein jour, à dire vrai. J'avais du mal à trouver d'autres sortes de vêtements qui ne me laissaient pas une sensation d'inconfort et de malaise. Là-dedans, je me sentais bien.
Il faisait frais, cette nuit-là. A peine étais-je sorti de mon appartement qu'un air glacial me fouettait le visage, renversant ma capuche dans mon dos. Je luttais un bref instant, avant de soupirer et de me résigner face aux forces de la nature. Bon... Trouver Steve...
Je pourrais peut-être espérer dormir un peu, une fois mes cachets engloutis. J'avais enchaîné les nuits blanches, comme mes cernes pouvaient le laisser deviner aux plus observateurs, et mon corps se languissait de pouvoir obtenir un minimum de repos.
Daisy Street était un quartier pour le moins "craignos", comme diraient certains. Je l'avais choisi pour ses loyers peu élevés et la proximité des dealers, après la mort de ma soeur. Rester dans le même appartement ? Toutes ces pièces remplies de souvenirs ? Impossible. Il avait fallu que je parte.
Si j'appréciais la discrétion dont mes petits trafics pouvaient jouir, j'étais moins emballé par le reste de la population. En particulier les petites frappes qui se faisaient un malin plaisir de me tourmenter... Ils devaient voir en moi une victime idéale.
Une petite bande avait d'ailleurs choisi de me prendre à parti, me barrant la route. Je tentais de les contourner, mais l'un d'entre d'eux devait s'être injecté le sérum et y avoir survécu, car, très vite, mon corps se retrouva paralysé, figé sur place. J'étais à leur merci.
"Tu crois qu'on t'a pas reconnu, le barge ? Qu'on sait pas que c'est toi qui tient ce blog de merde sur Internet ?"
Je n'avais jamais cherché à m'en cacher. Au contraire, j'estimais qu'un pseudonyme ou un masque pour dissimuler mon visage et mon identité auraient atténué mon propos. J'étais contre le sérum et je n'en avais pas honte. Ma soeur était morte pour cette connerie.
Je tentais de faire un pas, mais le pouvoir qu'il exerçait sur mon corps était trop élevé. J'étais incapable de remuer le petit doigt. Tout juste de remuer les orbites et de parler :
"Ce... Ca n'a rien d'un secret. J'ai autre chose à f-faire, fichez-moi la paix."
Mes pensées étaient claires, limpides, éloquentes. Ma plume, elle, était ciselée, fine et travaillée. Pourquoi fallait-il que toutes les paroles que je prononçais semblent aussi vides et hachées ? Comme si mes cordes vocales filtraient mes idées, ne laissant passer que ce qui pouvait sonner de plus médiocre ou intimidé.
Leur rire accrut la colère qui naissait déjà en moi, mais j'étais incapable de la laisser s'exprimer comme je l'aurais souhaité. Maudit sérum...
Ils n'étaient pas très doués pour la parlotte, visiblement. Ces quelques mots leur avaient suffi pour engager les hostilités. Un premier coup de poing vint me recueillir au visage, me faisant voir trente-six chandelles. Mon corps, libéré un instant de la paralysie, chancela et je m'effondrai à terre, où je fus de nouveau soumis à son pouvoir.
Les coups se mirent à pleuvoir. La douleur envahit l'ensemble de mon corps, sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Une souffrance que, quelque part, il me semblait avoir mérité... Pour ne pas avoir été là pour ma petite soeur. Pour avoir été un frère médiocre pour Evangeline. Pour n'être qu'un addict à des anti-dépresseurs...
J'eus, un instant, l'étrange et morbide espoir que l'un de ces coups me libérerait définitivement de mon existence sur cette planète. Mais là ne fut pas ce qui arriva...
L'alcool lui brûlait une dernière fois le gosier tandis qu'il rejetait légèrement la tête en arrière, étouffant le soupir soulagé qui venait de s'échapper de ses lèvres rosées et légèrement mouillées tandis que son corps se décontractait. Les verres devaient généralement se suivre et être de bon nombres pour que Virgil puisse atteindre cet état de complet relâchement, son attention déviant enfin sur les lumières qui l'entouraient et les conversations rythmées par la musique qui l'emplissait. Danser, rire, boire, tout ça pour s'oublier, oublier tout ce qu'il voyait et ressentait. Pour oublier les nuits qu'il passait à coucher ou à se bourrer pour échapper aux cauchemars qui l'attendaient, trop douloureux ou trop étranges pour qu'il ne puisse réellement se reposer. Il ne savait plus réellement pourquoi sa vie avait éclaté à ce point, comment il en ressentir le besoin compulsif de se foutre en l'air. De foutre les autres en l'air parce qu'il n'avait pas une once de compassion pour ceux qui l'entouraient. Tue ou soit tué, l’égoïsme était un de ces vices qui vous poussait à la méchanceté sans que vous ne l'auriez voulu dans le seul but de vous préserver, et c'était ce qu'il appliquait. Une unique règle pour survivre après qu'il ait rit au nez de la grande faucheuse.. ne pas s'attacher, ne se focaliser que sur son bien être.
Délaissant les corps entre lesquels il s'était habilement glissé, ses mains poussèrent avec plus de force qu'il ne l'aurait voulu la porte. Confus, troublé.. complètement ailleurs. Oh, oui, il s'était complètement éclaté la tronche sans même user des opiacés. Il tentait d'arrêter, vraiment.. sauf qu'il y avait Keith et ce type était damné. La tête lui tournait et bien qu'une légère nausée le prit, il inspira calmement avant de caler une cigarette entre ses dents. L'envie de rire le tentait sauf qu'il n'allait passer que pour l'un de ces tarés qui fréquentaient les boîtes de nuit pour d'étranges raisons. P'tête bien que c'était vrai. Qu'il n'avait rien de mieux à foutre de son temps parce qu'il n'avait même pas de réel métier. C'était ce que son père lui dirait, qu'être artiste ne menait à rien, que l'existence qu'il menait n'avait aucun sens. Sauf qu'il l'emmerdait, il emmerdait quiconque lui dicterait sa façon de penser, de marcher. Tant qu'il aimait ce qu'il faisait rien n'avait d'intérêt, même si son cœur se pinçait d'une manière étrangement douloureuse lorsqu'il repensait à ses parents. Il les avait abandonné, complètement délaissé le jour où il avait décidé de partir. Tout ça pour une raison qu'il avait proprement écarté de sa mémoire.
Expirant faiblement la fumée, le brun regarda une dernière fois l'enseigne avant de s'éloigner, décidé à rentrer. Il était déjà assez entamé comme ça et il ne se voyait pas dans les bras de quelqu'un, pas ce soir, pas avec les songes qui le hantaient. Alors il marchait, il marchait en tentant de ne plus y penser, en titillant les effets de l'alcool qui commençaient doucement à filer. C'était cliché mais vrai, il tenait malheureusement tout ce qu'il avalait et ce fut dans un grognement désespéré qu'il tourna dans une rue. Vivre dans un quartier malfamé c'était un peu comme avoir le droit à une série tous les jours. Les meurtres, les histoires incohérentes et qui pourtant se déroulaient, les règlements de compte.. Au fil du temps, il avait simplement appris à ne plus s'en soucier tant qu'il n'y était pas mêlé. Et putain, il était bienheureux que jamais personne n'ait eut à l'idée de le frapper. Sauf qu'un bruit attira son attention et qu'il eut le malheur de tourner la tête. Un élan de compassion sans doute, mêlé à la vodka qui lui engourdissait les idées et ce zeste de brebis égarée qu'il pouvait apercevoir sur le visage de ce type. Adam. Ça résonnait dans sa cervelle heurtée lorsque son regard d'acier se posait sur les quelques caïds qui semblaient en vouloir faire.. bah, pas de très bonnes choses. Et sans avoir besoin de parler, il plongeait. Pas la peine de se battre ou de physiquement s'interposer, il n'avait qu'à leur faire oublier, cette colère, cette hargne.. le blog que princesse tenait. Instinctivement il avait été lui-même remonté, sa mâchoire se crispant tandis que ses prunelles se dilataient, il avait le pouvoir de les réduire à néant sauf qu'il leur fit simplement un signe de la tête, marquant ainsi leur départ. C'était amusant de constater à quel point il était aisé de faire déguerpir des garçons qui n'avaient même plus la moindre idée de comment ils avaient atterri ici.
Virgil renifla dédaigneusement, se tournant vers l'inconnu. Il pourrait également tout lui faire oublier, après tout, il était une saloperie de mutant. Le genre dangereux pour la société et toutes ces conneries que les journaux télévisés s'amusaient à clamer. Nuisible, horrible, c'était toute une race que l'on insultait pour la simple raison de la différence. Sauf qu'Adam était un bon petit, il le sentait, le savait. Ainsi il décida que cette jolie cervelle serait épargnée, étant encore assez lucide pour lui épargner d'être lobotomisé.
- Dobryï vetcher..
Commença-t-il, moyennement remis de cette soirée avant de s'apercevoir que ce n'était définitivement pas la meilleure façon d'aborder un étranger, surtout lorsque ses lèvres s'ourlèrent d'un sourire.
- Mh, salut. Ca va bien dans l'coin ?
crackle bones
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Sujet: Re: Help [Pv Virgil] Dim 4 Oct - 21:47
Peu à peu, je parvins à sentir à nouveau chaque membre de mon corps. Je fermais mes poings, les ouvris, avant de me recroqueviller instinctivement sur moi-même, attendant que les coups pleuvent à nouveau. Je n'avais pas la force ni la volonté de me défendre. Il ne restait que la douleur. Et cette mort si tentatrice qui me tendait les bras...
Ce ne fut que lorsqu'une voix qui n'appartenait pas à mes bourreaux se fit entendre que je réalisais l'entièreté de la situation. Ce qui s'était passé. Ils étaient partis, chassés par cet homme. Il ne restait plus que nous. Mon cerveau fit la connexion aisément : un mutant, en particulier avec ce genre de pouvoirs, ne se laisserait pas effrayer par un simple humain. J'avais donc en face de moi un autre mutant. Potentiellement dangereux.
J'ignorais ce qui l'avait poussé à me sauver, à me venir en aide. Il aurait pu faire comme tous les autres : tourner la tête. Baisser les yeux. Regarder ailleurs. C'était tellement facile. C'était tellement plus simple. Comment le leur reprocher ? La nature humaine était faite ainsi. Se préserver soi-même avant toute chose. Enfin... Sauf si des pouvoirs surnaturels vous étaient promis en l'échange de la prise de risques stupides. L'instinct de conversation disparaissait au profit d'une ambition idiote, qui valait bien de mettre sa vie sur la balance...
Il me demanda si j'allais bien. La réponse était évidemment "non". J'avais l'impression que chaque parcelle de mon corps suintait la souffrance. Je tremblais, toujours sous le choc de cette agression que j'avais été incapable d'anticiper. Et, surtout, je me demandais si je pouvais réellement faire confiance à cet homme... S'il n'avait pas simplement l'intention de me faire du mal, à son tour...
Peut-être qu'il souhaitait être le seul à "s'amuser", qu'il n'aimait pas partager ses jouets. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Je n'étais que moi-même. Adam Payne. Bloggeur. Etre humain ordinaire. Et lui... Qui était-il ? Qu'était-il en mesure d'accomplir ? S'il voulait me faire souffrir, je préférais qu'il le fasse vite. Qu'on en finisse.
Il fallait que je lui réponde. Eviter d'entrer dans ses mauvaises grâces. Mes lèvres s'entrouvrirent, mais rien ne sortit. Ma gorge était serrée. Mon souffle court. Je pouvais sentir un filet de sang couler de mon nez, des douleurs musculaires... Je doutais de parvenir à m'enfuir si l'occasion m'était donnée. Péniblement, je parvins à articuler à l'adresse de mon "sauveur" :
"Je... Je v-vais bien. M-Merci."
Je ne pouvais pas les comprendre. Ces gens qui prenaient la peine de tout risquer pour être capable d'accomplir quelques tours de passe-passe... Mourir pour pouvoir voler, devenir invisible, contrôler les pensées... Pourquoi ? Leur propre vie n'avait-elle donc pas la moindre valeur pour eux ? Et... Et pensaient-ils seulement à ceux qui restaient derrière ?
Je me mordis la lèvre, réussissant difficilement à quitter ma position recroquevillée pour m'asseoir sur le sol, serrant mes genoux contre mon torse. Je ne pourrais pas faire mieux. J'avais mal. Froid. Peur. Tout ce que je souhaitais, c'était retrouver Steve, payer ce que je lui devais et retourner chez moi avec mes médicaments. Prendre une gélule, peut-être deux... ou plus encore. Il fallait que je chasse l'angoisse, les relents de tristesse, la souffrance... Avant que je n'explose.
Mon regard se leva vers cet inconnu, commençant à douter qu'il cherchait à me faire du mal. Il l'aurait fait avant, si tel avait été le cas. Peut-être que... Peut-être qu'il voulait simplement m'aider... J'avais du mal à croire qu'on puisse m'accorder pareille attention, mais... mais cela devait être le cas. Je devais ravaler ma crainte, mes peurs, avant d'être englouti par ces dernières.
Massant ma nuque douloureuse, je marmonnais d'une voix difficilement audible :
"V-Vous... Je n-ne sais pas ce que je p-peux faire pour vous remercier. Je n'ai p-pas beaucoup d'argent, mais..."
Tout juste de quoi me payer mes gélules. Ma salvation. C'était la seule raison qui m'avait poussé à sortir, à m'aventurer hors de chez moi. Sans argent, pas de Xanax. Mais... il fallait bien que je le remercie. Il m'avait sauvé. Et il ne me voulait pas de mal. Enfin, je ne pensais pas.
"J-Je... Qu'est-ce que vous v-voulez, en retour ?"
Je n'avais pas grand-chose à lui offrir. J'étais presque fauché, maladroit, banal. Que pouvais-je lui offrir, à lui qui était doté d'un talent exceptionnel ?
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